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Gérard Klein, écrivain

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     L’hypnoglyphe est un objet mystérieux, séduisant et dangereux. Posé sur une table, il attirera irrésistiblement votre regard, puis votre main qui l’effleurera d’abord, et le caressera. Vous voilà pris au piège. Incapable de vous en détacher, vous tomberez dans une douce hypnose, et serez bientôt la victime d’un prédateur.

     Le mot vient du grec et réunit glyphe, signe, voire forme, comme dans hiéroglyphe, et hypnos, pour sommeil ou abandon de l’état conscient. Il a été forgé au début des années 1950 par John Anthony, de son véritable nom John Ciardi, éditeur et poète américain qui traduisit en anglais La Divine Comédie. C’est le titre d’une nouvelle mémorable et plusieurs fois rééditée.

            La première fois que j’ai vu, un peu par hasard comme on fait toutes les vraies découvertes, puis touché comme il y invitait, les sculptures de Jean-Christophe Couradin, j’ai aussitôt pensé à cette histoire, lue cinquante ans plus tôt. L’hypnoglyphe de ce conte vient d’un autre monde, d’une autre planète où il sert d’appât tactile. Les œuvres de Couradin viennent à peine de plus près, du moins les bois rares dont elles ont été extraites, aux noms et provenances exotiques, bois d’amourette de Guyane, cocobolo du Mexique, gayak vert (un bois qui ne flotte pas) splendidement veiné, presque minéral, ébène rose d’Afrique du sud, malgaro de Madagascar, palissandre de Rio, ébène de Makassar ou d’Afrique, ou encore d’Indonésie, bois de violette du Brésil, et quelques variétés d’acajou, dont celle devenue rare de Cuba, dont on faisait autrefois les chambres photographiques en raison de sa très grande stabilité. Un vrai tour de notre planète à défaut d’une autre.

           Les formes m’évoquent aussi des origines secrètes. Elles me font certes penser à quelques Brancusi, et aussi à ces objets dont Yves Tanguy peuplait ses toiles sous-marines. Roger Caillois, qui collectionnait les minéraux pour leur aptitude à le faire rêver, les aurait aimées. Mais le travail de Couradin ne s’inscrit dans aucune tradition repérable, au moins par moi, sinon peut-être dans la nature. Il me suggère les volutes de coquilles issues de mers chaudes et profondes, aux allures de fruits ou d’œufs d’un autre monde, parfois des fonctions mathématiques à moins encore qu’il ne s’agisse d’autres courbes, à mon regard ouvertement féminines, parfois poussées jusqu’à l’orée du sexe ou l’entrebâillement d’un bivalve. Bien entendu, l’artiste n’a ni de tels modèles, ni même de telles intentions. Je projette sur ces rondeurs mes images voire mes fantasmes. C’est toutefois qu’elles dégagent une puissante et sereine sensualité, par leur matière, leurs teintes, leur poli si parfait qu’il les ferait ressembler parfois à des pierres dures n’était la chaleur du bois.

           Au lieu, comme font la plupart des sculpteurs (et surtout les musées) d’interdire de toucher à ces surfaces, Jean-Christophe Couradin le recommande fortement. Suivez son conseil. Vos yeux vous y invitent.
           Approchez votre main. Flattez l’objet des doigts. Du creux de la paume. Caressez-le enfin.
Vous êtes séduit. Vous êtes piégé. Vous voilà perdu.

           Un hypnoglyphe, je vous avais pourtant prévenu.

 

                                        

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